Billet d'humeur, mars 2020. Confinement numéro 1. Guadeloupe
Elle est là, immense, bleue, parfois turquoise, un peu laiteuse les jours de vent. Elle s’offre chaque jour à mon regard, à mon âme éperdument en amour. Elle m’appelle de ses risées, de son souffle chaud, de ses ondulations, de ses variations de couleurs. Chaque jour différente, chaque jour mouvante mais toujours là, à portée de main.
Tentatrice, inaccessible, elle reste interdite. Un privilège réservé aux Saint-Barths, aux Australiens, aux Tahitiens, aux Hawaïens. Là-bas, elle demeure ouverte, offerte.
Ici, elle est surveillée. Brigade nautique, patrouille terrestre, hélicoptère veillent à notre privation de liberté, à notre enfermement sur la terre ferme, dans des supermarchés bondés ou des allées envahies de joggeurs et marcheurs effrénés.
Par bravoure, par résistance, par rébellion, j’y vais presque chaque jour. Armée d’un masque, d’un tuba et de palmes, je me transforme en dangereuse inconsciente et je saute des rochers en bas de chez moi pour me plonger dans un océan de délices. Ou dans ce qui l’était. Car aujourd’hui, je nage l’oreille en alerte, à l’affût du rotor de l’hélicoptère qui, chaque jour, veille à ma distanciation sociale avec la mer. Aux aguets, je relève aussi la tête, plus souvent qu’il ne faut, pour surveiller l’arrivée de la patrouille nautique. Je nage, inquiète, sachant qu’un jour je me ferai prendre. Que des gens d’armes, tout contents de trouver une rebelle, une égoïste, une antisociale, se jetteront sur moi, gyrophare et sirène allumés.
Je ne suis passée pas loin de la correctionnelle la semaine dernière. A peine entrée dans l’eau, l’hélico ET le bateau. Repérée, prise au piège dans la grande bleue au soleil couchant. Heureusement, la mer est ventée, un peu agitée, ils doivent avoir du mal à me suivre. Je fonce vers la falaise, j’y connais une grotte secrète… J’y suis, je m’y cache. Ballotée par les vagues dans une caye coupante, en tête à tête avec de grands oursins noirs, je m’accroche telle une moule à son rocher. Je suis prête à attendre la nuit pour sortir. Attendre qu’ils se lassent de chercher cette dangereuse terroriste que je suis à leurs yeux. Attendre en regardant les longues épines des oursins se rapprocher. Attendre afin de gagner cette bataille pour ma liberté.
Mariane Godoc
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