Valérie Chamberland est née au Québec, très loin de la Caraïbe et elle est pourtant aujourd’hui l'une des scientifiques les plus actives dans la restauration des récifs coralliens des Antilles. Rencontre avec une passionnée qui ne cesse d'innover pour tenter de trouver des solutions à la disparition des coraux.
Coraïbes Blog : Comment votre parcours vous a t'il conduit du Québec à l'île de Curaçao où vous travaillez aujourd'hui ?
Valérie Chamberland : Je suis né et j'ai grandi au Québec, au Canada, loin des écosystèmes des récifs coralliens tropicaux. Il m'a fallu de nombreuses années et pas mal de détours avant de trouver mon chemin de ce pays du nord vers l'île de Curaçao, dans les Caraïbes du sud, où je travaille maintenant pour SECORE International en tant que chercheur scientifique. Au cours de ma dernière année de lycée, je me suis inscrite à un programme scientifique qui tournait chaque année autour d'un sujet spécifique. Cette année-là, le sujet était la biologie marine. Dans le cadre du programme, nous avons fait un voyage à l'Université du Québec à Rimouski (UQAR) située tout à fait à l'est de la province, là où le fleuve Saint-Laurent s'ouvre sur l'océan Atlantique et dont l'eau est donc salée. Cette université accueille un cursus bien connu de biologie marine et d'océanographie, et les professeurs nous ont emmenés dans plusieurs excursions en bateau, collectant et étudiant divers organismes marins tels que les oursins, les concombres de mer, etc. J'ai tellement aimé le sujet que quelques années plus tard, je me suis inscrite au programme de licence de cette université. Au cours de ces années, j'ai commencé à m'intéresser de plus en plus aux écosystèmes marins tropicaux tels que les récifs coralliens, les mangroves et les herbiers marins. Je n'avais cependant jamais vu ces écosystèmes de mes propres yeux, et j'ai donc décidé de passer un an d'études en Guadeloupe à l'Université Antilles Guyane via un programme d'échange ERASMUS. C'est sur cette belle île française que j'ai plongé pour la première fois sur un récif corallien et que je me suis véritablement passionnée pour les coraux.
Après la Guadeloupe, je me suis inscrite en Master dans le sud de la France, à Perpignan, avec l'espoir de me rendre éventuellement en Polynésie française pour travailler au CRIOBE. Le CRIOBE est un laboratoire marin basé à Moorea rattaché à l'Université de Perpignan et j'y voyais donc une belle avancée dans ma carrière. Au cours de ma dernière année de Master, j'ai commencé à chercher des opportunités de stage et j'ai été invitée dans plusieurs institutions, dont le CRIOBE à Moorea. Mais on m'a également proposé un stage à la station de recherche marine CARMABI pour étudier l'évolution des populations de poissons après le déclin d'Acropora palmata et de Millepora complanata. Ce projet impliquait beaucoup de plongées et d'enquêtes sur le terrain et m'attirait beaucoup étant donné que j'avais principalement de l'expérience en laboratoire à l'époque. Je suis donc arrivé à Curaçao en 2010 pour un stage de 8 mois… et je n'ai jamais quitté l'île.
Coraïbes Blog : Avez-vous tout de suite trouvé un poste correspondant à vos attentes ?
Valérie Chamberland : Après avoir obtenu mon MSc, j'ai fait du bénévolat à CARMABI pendant quelques mois pendant la saison de reproduction des coraux et j'ai vraiment trouvé ma passion pour la reproduction et la restauration des coraux. En 2012, j'ai été embauché comme doctorant par SECORE International, via l'Université d'Amsterdam (UvA), toujours basée à temps plein à la station de recherche marine CARMABI à Curaçao. J'ai obtenu mon doctorat début 2018 et depuis, je travaille pour SECORE en tant que chercheur.
Coraïbes Blog : Quel est votre rôle aujourd'hui dans cette organisation incontournable pour la préservation des coraux ?
Valérie Chamberland : Mon rôle au sein de l'organisation est de mener des recherches visant à mieux comprendre les processus environnementaux affectant le recrutement larvaire chez les coraux des Caraïbes, avec un accent particulier sur l'identification des conditions dans lesquelles le recrutement sera réussi. Ceci est analysé à travers une série d'études d'observation et d'expériences de manipulation en laboratoire et dans des conditions naturelles. Mes intérêts de recherche vont des études d'histoire naturelle documentant la biologie reproductive et l'écologie précoce des espèces de coraux pour lesquelles ces traits sont sous-étudiés, aux expériences de manipulation étudiant les effets des perturbations anthropiques telles que la surpêche et la pollution côtière sur la santé des jeunes coraux. Une partie de mes recherches vise également à identifier les populations de coraux qui produisent une progéniture plus apte à faire face aux conditions stressantes des récifs modernes, que ce soit pour des raisons génétiques ou des mécanismes à plus long terme tels que l'adaptation locale.
Les résultats recueillis au cours de ces études sont utilisés pour optimiser et intensifier les efforts de restauration visant à augmenter le recrutement larvaire dans les communautés coralliennes menacées. Ces applications comprennent l'expansion de la gamme d'espèces de coraux qui peuvent être ciblées pour les efforts de propagation larvaire, le développement de substrats imprimés en 3D conçus pour fournir aux coraux nouvellement installés un abri contre les algues et les prédateurs concurrents, et la conception de nouvelles technologies pour permettre le élevage en masse et réimplantation de recrues coralliennes.
Coraïbes Blog : Comment voyez-vous l'évolution des massifs coralliens dans la Caraïbe ?
Valérie Chamberland : Les coraux des Caraïbes sont définitivement en difficulté. J'ai cependant bon espoir que nous pourrons encore leur donner une chance de se rétablir si nous agissons à temps. Ma perspective optimiste découle du fait que plusieurs récifs coralliens prospèrent dans des zones soumises à de graves facteurs de stress anthropiques et que de nombreuses populations de coraux touchées par des tempêtes ou le blanchissement sont capables de rebondir et de se rétablir rapidement. On ne peut donc pas encore dire « game over » pour les récifs coralliens mais il faut plus que jamais agir et rester vigilants.
Coraïbes Blog : Avez-vous des exemples de sites où les coraux se montrent particulièrement résistants face aux agressions qu'ils subissent ?
Valérie Chamberland : Un bon exemple est un récif situé en face de la ville de Curaçao, où l'on s'attendrait à ce que les coraux aient disparu en raison du développement côtier et de la forte pollution du port. Ces coraux sont donc capables de résister à ces facteurs de stress et sont pour moi plus intéressants à étudier que des populations qui meurent. Ces coraux ont en quelque sorte trouvé un moyen de faire face et de s'adapter aux conditions actuelles sur les récifs, et pour moi, ils incarnent certaines des «histoires de récifs coralliens les plus prometteuses». Nous devrions passer plus de temps à comprendre ces populations, en particulier dans le cadre de la restauration des coraux.
Coraïbes Blog : Pensez-vous que les coraux des Caraïbes pourront un jour retrouver leur vitalité d'avant ?
Valérie Chamberland : Les récifs coralliens ne seront peut-être plus jamais les mêmes qu'il y a 100 ans, mais avec un peu d'aide, certaines espèces de coraux et la biodiversité associée pourraient encore être capables de survivre et de s'adapter, et donc de continuer à fournir des fonctions et des services écosystémiques clés tels que l'habitat. pour les poissons et la protection côtière. Le travail de SECORE est un exemple d'actions qui peuvent aider au rétablissement des récifs coralliens, en augmentant le recrutement local de coraux et en aidant ainsi les prochaines générations de coraux. De telles actions doivent cependant être appliquées de concert avec d'autres outils de gestion tels que la gestion des stocks de poissons et le développement côtier pour réussir et avoir un impact positif sur le rétablissement des récifs.
Coraïbes Blog : Comment SECORE intervient-il pour partager son expérience au niveau de la Caraïbe ?
Valérie Chamberland : L'objectif de SECORE est de faire progresser les connaissances et la technologie nécessaires pour obtenir un succès élevé de restauration à l'aide de larves de corail. Nous partageons ensuite ces connaissances et cette technologie avec d'autres organisations qui ont la capacité de mettre en œuvre ces techniques à plus grande échelle. Nous le faisons déjà depuis plusieurs années via des formations en personne comme celle organisée à Curaçao en octobre 2021 et qui a rassemblé des scientifiques et des restaurateurs coralliens venus de toutes les îles. En créant un vaste réseau de praticiens qui appliquent ces techniques, nous visons à avoir une plus grande empreinte positive sur les récifs de la région des Caraïbes.
Coraïbes Blog : Selon vous, que faut-il pour les projets de restauration avancent plus vite et mieux ?
Valérie Chamberland : La restauration des coraux n'est qu'un instrument dans une boîte à outils et elle ne fera une différence que si elle est appliquée de concert avec d'autres actions de conservation et de gestion telles que la gestion des stocks de poissons (zones interdites), les réglementations du développement côtier (traitement approprié des eaux usées), etc. Ainsi, les populations d'espèces de poissons herbivores comme les poissons perroquets sont souvent ciblées par les pêcheries locales sur la plupart des îles. Or, sans populations saines de ces brouteurs, les algues poussent sans contrôle, ce qui réduit à son tour le succès des efforts de restauration des coraux.
Mariane Aimar
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