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Les Saintoises au fil du vent

Éloigné de la Guadeloupe de quelques encablures, l’archipel des Saintes dégage une atmosphère toute différente. Les traditions héritées des premiers Bretons ayant peuplé l’île au XVIIIe siècle y sont encore bien présentes et parmi celles-ci, la construction des fameux canots appelés Saintoises.


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Alain Marc Foy dans son atelier des Saintes.

Évoquer les barques saintoises ne pouvait s’envisager sans une escale sur leur terre d’origine. C’est donc vers l’atelier d’Alain Marc Foy que je me dirige après la traversée du canal entre Trois-Rivières et Terre-de-Haut. Une étroite route écrasée de soleil mène à la baie du Marigot où la famille Foy fabrique des bateaux depuis plusieurs générations. Alain Marc est au travail, penché sur un canot dont il assure les finitions. Son atelier dégage une agréable odeur de planches fraîchement découpées et la vue sur la petite anse est un régal pour les yeux. Cet enfant du pays est attaché à son île, à ses traditions, à la mer qui l’entoure et, plus que tout, aux bateaux. Il a passé sa jeunesse à observer son père travailler le bois, façonner avec amour des coques, membrures et bordées. C’est donc tout naturellement qu’il est venu à la charpente navale après un petit détour par la menuiserie. « J’ai longtemps fabriqué des cuisines en bois pour les entreprises de Guadeloupe, mais la charpente navale coulait dans mes veines », se rappelle Alain Marc. « Et construire un bateau, puis le peindre quand il est achevé est un travail artistique qui me correspond bien ». Car l’homme est à ses heures artiste, habile de ses mains, sachant mêler bois, coquillages et éléments naturels pour créer des œuvres uniques. Depuis son plus jeune âge, Alain Marc Foy baigne dans le monde des bateaux et assiste aux populaires régates de canots organisées dans la Baie des Saintes. Quand le Tour de Voile Traditionnelle de la Guadeloupe naît en 2001, il observe avec plaisir ces bateaux aux voilures colorées reprendre vie sur les flots de l’archipel. Ces Saintoises, classiquement utilisées pour la pêche, sont désormais sous le feu des projecteurs durant les dix jours du tour de voile de la Guadeloupe. À l’époque, les charpentiers de marine sont encore nombreux, 15 au total, dont 12 sur Les Saintes. Alain se décide en 2004 et conçoit un premier canot destiné à cette course qui chaque année prend plus d’ampleur. Son bateau est alors assez éloigné de la construction traditionnelle et il est mal perçu, critiqué. « Cela m’a permis de me remettre en question et d’évoluer », évoque le charpentier. « Je suis à ce moment-là revenu vraiment à la tradition et j’ai complètement retravaillé la carène et les différents éléments du canot ». Après plusieurs années de tâtonnements et de galère, il produit en 2012, un bateau rapide et léger. Le fameux Yasala qui défraie vite la chronique. Plus performant que les autres, il devient incontournable sur le tour de Guadeloupe, s’octroyant régulièrement les premières places. Pour parvenir à un tel résultat, Alain Marc Foy s’est basé sur les plans traditionnels de la fabrication des Saintoises mais a su innover. Il enlève la pièce morte à l’arrière et la contre-étrave à l’avant, ajoute au contraire un chapeau de quille. « Dans le temps, il fallait percer la quille et cela faisait rapidement pourrir le bois. Le chapeau de quille permet d’éviter cela et du coup, mes bateaux ont une durée de vie plus longue » se félicite Alain, le regard malicieux. Il a réussi également à alléger les canots qui sont passés de 700 à 100 kg en quelques années, ce qui a, bien sûr, augmenté leurs performances.


Vers le retour d’une pêche traditionnelle ?

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Aux Saintes, c'est à la voile que les pêcheurs partaient en mer avant l'arrivée des moteurs.

En plus de construire des Saintoises aux lignes superbes, Alain Marc Foy est un observateur privilégié du monde marin. Il se souvient des marins de son enfance qui partaient en mer à la voile pour chasser de gigantesques espadons. « Je mets d’ailleurs au défi n’importe quel équipage d’aujourd’hui de revenir du large avec de telles prises » ironise le charpentier. « Personne n’en serait capable tant les techniques se sont perdues ». Pourtant, la pêche moderne ne pourra, selon lui, continuer ainsi à l'infini. Elle prélève trop de poissons à longueur d’année, ne laisse pas le temps à la ressource de se renouveler. « Quand j’étais enfant, il suffisait de poser une ligne dans la baie de Marigot pour attraper pagres et chatrous à profusion. Aujourd’hui, il faut parfois faire le tour des Saintes pour rapporter une seule pieuvre », regrette le Saintois. C’est pourquoi Alain Marc Foy réfléchit à un nouveau bateau de pêche. Un concept écologique, non polluant, plus adapté à une époque où le carburant devient peu à peu une ressource rare et chère. Son idée est de remettre des voiles sur un canot amélioré, plus grand, plus confortable, permettant de partir à la pêche plusieurs jours. Dans la quille, un vaste espace pour la glace et le stockage des poissons. Mais un bateau rapide aussi pour naviguer entre les îles et alterner les zones de pêche. « Il faut savoir arrêter les prélèvements sur certains sites, à certaines périodes de l’année. Permettre à la nature de se régénérer. Comme les agriculteurs, prendre le temps de planter avant de récolter ».


Une tradition menacée

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C'est dans la baie du Marigot aux Saintes que les chantiers Foy sont installés.

Mais le Saintois s’inquiète aussi pour son métier. Car aujourd’hui, les charpentiers de marine se comptent sur les doigts d’une main en Guadeloupe. Le savoir-faire se perd et il n’existe toujours pas d’écoles ou de formations spécifiques sur l’archipel. Les Saintes ont été au cœur de la construction de canots et leurs Saintoises ont fait des émules aux quatre coins de la Caraïbe. Contrairement aux grandes îles qui ont pu se tourner vers l’agriculture, dans toutes les petites îles comme Moustique, Bardude ou Les Saintes, les hommes n’avaient d’autre choix que de partir en mer pour se nourrir. Ils ont donc su inventer des canots adaptés aux conditions locales et conçus avec des essences régionales. Mais sans relève, c’est toute une tradition de charpente marine qui risque de disparaître.


Mariane Aimar-Godoc


1 Comment


Pierre Aimar
Pierre Aimar
Oct 18, 2022

Très intéressant.

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