Steve Salim est de ces guadeloupéens profondément amoureux de leur île qui s’emploient au quotidien à la hisser vers le haut. Son crédo ? L’agriculture saine, respectueuse de l’environnement et des hommes, mais aussi le partage et la transmission des savoir-faire traditionnels. Portrait d’un homme engagé.
C’est au Moule, dans son Comptoir du Local, que Steve m’invite à rencontrer son équipe. C’est mercredi, le jour de la livraison des paniers fruits et légumes et l’activité bat son plein. Steve est debout depuis 2h30 du matin et après avoir parcouru les sept champs où poussent les fruits et légumes péyi, il aide ses collaborateurs à remplir les 450 paniers qui seront livrés ou récupérés ce jour-là par des clients fidèles. Le sourire aux lèvres, un mot gentil pour chacun, il s’active, répond aux incessants coups de fil de commandes de dernière minute et déploie des trésors de patience pour satisfaire toutes les demandes. Celle de cette mamie, en jolie robe créole, qui accueille sa petite fille en vacances et veut absolument lui faire goûter des maracujas. « Il n'y en a pas beaucoup en ce moment, mais repasse demain, je t’en trouverais deux ou trois » lui promet Steve, Fondateur du Label et groupement Natirel Péyi. Un agriculteur arrive dans la foulée, proposant des gombos fraichement récoltés. Steve observe les légumes, les sent, n’hésite pas à les goûter. Les gombos proviennent d’une parcelle sans produits phytosanitaires, mais le maraîcher est inquiet pour la suite, se méfie des insectes qui pourraient attaquer sa récolte. Steve le rassure, lui explique, lui donne des conseils. L’homme repart satisfait, confiant. « Dans la Guadeloupe de mes grands-parents, tout le monde avait son jardin créole et savait cultiver son petit lopin de terre. Les anciens mariaient les différents légumes entre eux pour créer des associations bénéfiques éloignant et régulant les insectes. Car chaque organisme a sa place et son rôle dans une jardin créole, même les mille pattes ! Ce savoir-faire c’est perdu au fil du temps et mon travail consiste tout simplement à le remettre au goût du jour » explique modestement le créateur du concept Guadeloupe Forever.
Un retour au pays réussi
Ce concept, justement, il l’a rêvé à Aix en Provence durant cette période de sa vie où il a réellement pris conscience de ses origines. Enfant du Moule, fils de pêcheur, petit-fils d’un amoureux de la terre, Steve est aussi le fruit d’un métissage comme seule les îles savent en offrir. En lui coule du sang amérindien, indien, noir et syrien et l’arrivée en France, pour des études de science politiques, fait émerger en lui un profond attachement à sa Guadeloupe natale. « C’est en quittant son île qu’on la comprend, qu’on en découvre les richesses qui paraissaient si banales quand on y vivait. Je ne me suis jamais senti aussi guadeloupéen que là-bas ! » se rappelle celui qui a fait un retour au pays réussi. C’est en France qu’il invente le nom Guadeloupe Forever, il dessine les lignes, encore un peu floues, d’un projet destiné à valoriser son pays. Après 15 années dans le sud, il pose ses valises en Guadeloupe en 2014 avec femme et bébé. A l’époque, le chlordécone, cet insecticide utilisé massivement dans les bananeraies, fait la Une des journaux. Steve s’interroge, préoccupé, cherchant comment nourrir son enfant sainement. Naturellement, il se tourne vers les anciens, les questionne, visite des jardins créoles, essaie de comprendre comment cultiver sans produits chimiques. Très vite, il s’aperçoit qu’aux quatre coins de l’ile les manguiers, les avocatiers, les sapotilliers croulent sous leurs fruits. Et que personne ne les ramasse. « Mon concept est né de ce constat tout simple. J’ai donc cherché, dans un premier temps, à remettre au goût du jour et à valoriser les fruits et légumes de Guadeloupe. A démontrer qu’en mangeant des fruits de saison, on pouvait tendre à une certaine autosuffisance alimentaire. Vous imaginez qu’en Guadeloupe on a 67 variétés de mangues ! En saison, on pourrait même exporter ! ».
L’effet confinement
Steve Salim se forme, s’initie à l’agro-écologie et commence à produire ses propres fruits et légumes. « Je voulais simplement nourrir ma famille mais, au bout d’un an, je produisais trop. J’ai donc offert mes surplus à ma famille, puis à mes amis et, face à la demande, j’ai commencé à vendre des paniers de produits locaux ». Et la sauce a pris. Jusqu’au confinement de mars 2020 qui a renvoyé chacun chez soi, limité les déplacements, fermé de nombreux magasins, perturbé les approvisionnements en provenance de métropole. Steve Salim, lui, n’a jamais autant travaillé. La demande de paniers de fruits et légumes explose, il renforce son équipe et malgré cela, ne peut répondre à la demande. « J’avais jusqu’à 500 demandes par jour via WhatsApp, je ne savais plus où donner de la tête, c’était une période folle ». Avant la crise sanitaire, Guadeloupe Forever livrait 250 paniers par semaine. Pendant le confinement, la demande est montée à plus de 600 pour se stabiliser aujourd’hui à 450. Pour fournir autant de clients, Steve et son équipe ont dû s’organiser. Former de nouveaux agriculteurs, les inciter à adopter les techniques traditionnelles, à bannir peu à peu les intrants agricoles. « Le concept, que nous avons formalisé dans une charte est simple. Nous ne travaillons qu’avec des agriculteurs cultivant des champs de moins de 1 hectare. Sur un tiers de la surface, ils n’utilisent plus de produits phytosanitaires et nous nous engageons à acheter leur production à un prix plus élevé. Sur un second tiers, ils continuent l’agriculture conventionnelle. Cela les rassure et leur permet de conserver une autre source de revenus. Enfin, le dernier tiers, ils s’engagent à le laisser en jachère ». Et le résultat est là : la seconde année, quand les maraichers constatent qu’ils gagnent plus d’argent avec les parcelles naturelles, ils arrêtent totalement la chimie et la troisième année, la boucle est bouclée, toute leur production se fait sans intrants phytosanitaires.
Aujourd’hui, Steve Salim, élu en 2018 entrepreneur de l’année 2018, s’est fixé de nouveaux objectifs. Transmettre son expérience à plus grande échelle et se lancer dans l’agro-transformation avec les surplus issus des champs. En parallèle, il a développé le Didiko-brunch, un rendez-vous régulier avec des chefs locaux qui viennent cuisiner les produits du pays. Le Comptoir du Local moulien se transforme alors en restaurant où chacun vient déguster des soupes aux légumes pays, des omelettes d'oursins ou encore des tartes à la goyave d’antan. Un délice.
GUADELOUPE FOREVER
COMPTOIR DU LOCAL
Facebook : Guadeloupe Forever
Article paru dans Arc en Ciel Magazine N°95. A télécharger ICI.
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