L’année 2023 a été dévastatrice pour les récifs coralliens de Guadeloupe et de la Caraïbe dans son ensemble. Un épisode majeur de blanchissement a entrainé la disparition de 50% des espèces les plus courantes et de 90% des espèces d’Acropora. Et 2024 pourrait encore être pire.
Imaginez les fonds marins de la Guadeloupe il y a trente ans. Des paysages colorés, des strates de coraux sur différents niveaux, une véritable architecture complexe et abritant une biodiversité exceptionnelle. Plonger dans cet environnement était magique et envoûtant.
Mais, au fil des ans, tout est allé très vite et les dégradations n’ont cessé de s’amplifier. En premier lieu, les cyclones qui brisent de manière mécanique des branches et colonies coralliennes. Une destruction naturelle qui, dans des eaux saines, permet à la barrière de se reconstituer en quelques années grâce au procédé de reproduction asexué des coraux. Mais les impacts des activités humaines ont, ces trente dernières années, malmené toujours plus les écosystèmes coralliens. Les eaux usées tout d’abord, toujours plus nombreuses, et pas ou peu traitées. Des stations d’épuration insuffisantes, dysfonctionnelles, pas entretenues. Aujourd’hui, 78% des stations ne sont pas aux normes et ce chiffre est pire qu’en 2017 ou seuls 61% des stations ne fonctionnaient pas correctement. Non seulement la Guadeloupe ne s’améliore dans le traitement de ses eaux usées, mais en plus, elle régresse. Rajoutez à cela les pollutions issues de l’agriculture qui ruissellent dans la mer, des engins de pêche non durables et toujours plus nombreux, et vous obtenez un cocktail dévastateur pour les coraux.
En 2023, des températures hors normes
Jusqu’à l’année dernière, les coraux de Guadeloupe se portaient mal, mais survivaient malgré de nombreuses pressions entropiques et des eaux côtières polluées. Rappelons ainsi qu’en 2022, 15% des plages ont été interdites à la baignade en Guadeloupe contre 2% en France.
En 2023, sous l’effet du dérèglement climatique accentué par le phénomène El Niño, la Caraïbe a enregistré des températures hors normes durant une période exceptionnelle. Ainsi, dès la mi-juillet 2023, l’eau a dépassé les 30° en Guadeloupe, atteignant même 33° sur certains sites peu profonds. Or, que se passe-t-il pour les coraux quand l’océan entre en surchauffe ? Ils subissent un stress thermique. En effet, ces organismes marins qui sont constitués de milliers d’animaux appelés polypes restent en bon état de santé jusqu’à une température marine de 29°. Au-delà, les zooxanthelles, ces algues microscopiques qui vivent en symbiose avec eux s’expulsent. Et si les coraux fournissent un habitat à ces algues, ces dernières leur donnent en échange leurs couleurs et les nourrissent en sucre. Sans elles, les coraux blanchissent (le tristement célèbre blanchissement corallien) et perdent leur alimentation en sucre. Si la température de l’eau reste chaude trop longtemps, les coraux meurent.
Un phénomène qui s’intensifie
Certes, par le passé, des épisodes de blanchissement ont déjà affecté les coraux. Mais, à l’époque, la mer augmentait de quelques degrés en août ou septembre, au cœur de la saison cyclonique, et cette élévation de température ne durait que quelques semaines. Dès que l’eau fraîchissait, les zooxanthelles se réinstallaient dans les coraux qui reprenaient leurs couleurs et une alimentation normale. Si les plus faibles disparaissaient, la majeure partie des coraux survivait. En 2023, l’eau a battu tous les records dès la mi-juillet et cette canicule marine s'est étalée jusqu’en décembre. Les coraux ont ainsi baigné dans des eaux trop chaudes durant près de 6 mois.
Et sous l’eau, tout a été très vite. Les premiers suivis réalisés par les scientifiques de Guadeloupe ont montré que 90 à 98% des coraux avaient totalement blanchi en 2023. En avril, après quatre mois de suivis post-blanchissement, la situation s’est révélée dramatique. Parmi les espèces les plus courantes (Porites porites, Millepora sp.), 40 à 50% n’ont pas survécu. Quant aux espèces emblématiques et endémiques de la Caraïbe, les coraux cornes d’élan (Acropora palmata) et cornes de cerf (Acropora cervicornis), ils ont quasiment été rayés de la carte avec une mortalité de 90 à 98% selon les sites.
2024, la fin des coraux pour la Caraïbe ?
À ce jour, tous les regards des scientifiques de la Caraïbe sont tournés vers les « alertes blanchissement » déclenchées par la NOAA. Et depuis la mi-mai, la Caraïbe est déjà en surchauffe avec des eaux à près de 30°. Les premiers signes de blanchissement viennent d’apparaître et les coraux qui ont survécu à l’épisode de blanchissement 2023 pourraient définitivement disparaître cette année. Car ces organismes marins affectés par le blanchissement de l’année dernière sont encore en convalescence, à peine remis de la canicule des eaux marines. Comme les hommes après une grave maladie, ils sont faibles et peu aptes à encaisser un nouveau dérèglement de leur milieu.
Quelles conséquences pour les îles ?
Les récifs coralliens forment une barrière de protection naturelle face aux vagues venues du large. Aujourd’hui, affaissés, disloqués, ils ne jouent plus ce rôle et les premières houles cycloniques risquent fort de ravager le littoral. D’autant que la saison des ouragans s’annonce sous les pires auspices avec l’arrivée de la Niña, favorable au développement des cyclones, et une température de la mer déjà très élevée.
Les houles cycloniques vont alors pénétrer toujours plus à l’intérieur des terres, endommageant infrastructures côtières, routes, bâtiments, écoles et entreprises. Et quand on sait qu’en Guadeloupe, toutes les communes sont au niveau de l’eau (excepté Morne à l’Eau et Saint-Claude), on ne peut que s’inquiéter. Par ailleurs, que deviendra Jarry, la plus grosse zone industrielle de l’île, quand elle sera les pieds dans l’eau plusieurs semaines par an ? Quant à la filière pêche, déjà malmenée par une raréfaction de la ressource et des zones interdites en raison de la pollution liée au chlordécone, comment pourra-t-elle s’adapter ? La disparition des coraux entrainera irrémédiablement la diminution des populations de poissons et la mise en berne de tout un secteur économique. Enfin, du point de vue touristique, qui viendra encore visiter les fonds marins d’une région ressemblant aujourd’hui à un cimetière corallien ?
Des fragments d’espoir
S’il est trop tard aujourd’hui pour sauver les récifs coralliens de Guadeloupe, il reste quelques lueurs d’espoir. Car depuis 10 ans, les scientifiques de la Caraïbe s’emploient à innover et à expérimenter de nouvelles techniques. Ils ont ainsi découvert récemment que lors d’un épisode de blanchissement, certains coraux faisaient de la résistance. Au milieu d’un désert de colonies blanchies, ils sont là, riches de couleurs, bien portants. Les scientifiques floridiens les ont étudiés et découvert un gène de thermo-résistance. Gène qui serait présent à la fois dans les coraux et les algues symbiotiques qu’ils abritent. Tous les projecteurs sont donc désormais tournés vers ces super-coraux qui pourraient bien être l’avenir de nos barrières récifales.
Vers des Arches de Noé coralliennes ?
En parallèle, des projets de sauvegarde des coraux sont apparus. À Curaçao, une « Arche de Noé » des espèces coralliennes est en cours de constitution par l’ONG Branch Coral Foundation.
En Guadeloupe, l’association IGREC Mer et l’Aquarium vont s’employer dès la mi-juin à préserver des coraux de la canicule marine qui s’annonce. L’objectif ? Sortir du milieu naturel des colonies qui présentent un risque majeur de blanchissement et les sauvegarder dans des bacs de culture où la température de l'eau est maîtrisée. À la fin de période chaude, ces coraux seront réimplantés sur leurs sites d'origine, si les conditions environnementales le permettent. Dans le cas contraire, ces derniers survivants d’une famille en voie d’extinction pourraient être conservés dans une ferme de corail. Une manière de préserver ce précieux patrimoine génétique endémique des Antilles françaises.
Mariane Aimar
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