Depuis 2011, les échouages massifs de sargasses se multiplient et en 2018, la « grande ceinture atlantique de sargasses », comme l’appellent les scientifiques, a été estimée à 8850 km de long, des côtes d’Afrique aux Etats-Unis. Cette année, toute la Caraïbe est particulièrement touchée.
D'où viennent les sargasses ?
Depuis l'année 2011, les sargasses arrivent régulièrement sur les côtes des îles caribéennes et du golfe du Mexique. Elles prolifèrent particulièrement en période chaude (l'hivernage) et s'échouent massivement sur les plages de toutes les îles des Antilles. C'est l'importance du phénomène et sa désormais régularité qui inquiète les habitants des îles désormais confrontés chaque année à des échouages massifs.
Certes, les sargasses ne sont pas nées en 2011. Elles ont toujours existé et une mer (la mer des sargasses) porte même leur nom. Mais jusqu'alors, elles se faisaient rares, discrètes et s'échouaient peu sur les plages. En 2011, une première invasion massive de sargasses frappe la Guadeloupe, la Martinique et toutes les îles de la Caraïbe. Des plages sont sinistrées, des ports de pêche bloqués et de nombreuses activités liées à la mer s'enrayent. Les scientifiques se penchent alors sur la question et visualisent, grâce aux images satellites, le parcours des bancs de sargasses. Ils constatent alors, dans notre région, qu'une nouvelle mer des sargasses s'est formée au large du Brésil. Sous l'effet des courants marins dominants (du sud au nord dans la Caraïbe), des bancs immenses remontent les îles en s'échouant au gré des vents sur les plages et côtes exposées.
Les intrants agricoles incriminés dans la prolifération des sargasses
Pourquoi une telle prolifération depuis 2011 ? Selon les études toujours en cours, l'agriculture intensive brésilienne et américaine seraient en cause. A force d'arroser les champs de produits phytosanitaires, les fleuves Amazone et Mississipi, sous l'effet du ruissellement, se gorgent de ces substances favorisant la croissance des cultures. Or, les sargasses sont des plantes marines et quand les fleuves se déversent en mer, ils nourrissent les algues avec d'importantes quantités d'engrais et particulièrement l'azote. La boucle est bouclée et les sargasses entament leur prolifération. Pour bien comprendre le phénomène, il faut savoir que les sargasses sont des algues pélagiques qui vivent à la surface de la mer contrairement aux autres algues marines qui sont fixées sur le substrat. Alimentées en engrais, ces radeaux de sargasses grossissent, se multiplient et les courants marins font le reste. Ils les disséminent du sud vers le nord sur toutes les îles qu'ils croisent en chemin.
Les brumes de sable, un nouvel engrais pour les sargasses ?
Autre facteur aggravant soulevé par les scientifiques : les brumes de sable. Ce phénomène habituel se produit généralement de mai à juillet. Sous l'effet des vents d'altitude, des poussières de sable émanant du Sahara traversent l'Atlantique et atteignent la Caraïbe puis l'Amérique du sud. Si le phénomène n'est pas nouveau, il s'intensifie également depuis une dizaine d'années. Les épisodes sont désormais plus nombreux et s'étalent sur de longues semaines. En Martinique*, sur la seule période du 30 mai au 29 août 2022, soit 90 jours, la qualité de l'air en Martinique a été moyenne, dégradée ou mauvaise durant 54 jours. Dit autrement, les Martiniquais ont respiré 60% du temps un air chargé en brumes de sable. Pas grave, me direz vous, puisque ce ne sont que des brumes de sable. Et bien non, elles ne contiennent pas que sable, tant s'en faut. Elles contiennent aussi du fer, du phosphore, de l'azote, des métaux lourds, des métalloïdes (dont l'arsenic), des molécules microbiennes, des virus… Bref, un joli petit cocktail chimique pour les poumons des humains et nos fameuses sargasses. Car l'azote, le fer et le phosphore fertilisent les algues et augmentent ainsi leur prolifération. Pour Stephen P. Leatherman, professeur de sciences côtières à la FIU (Université Internationale de Floride), les épisodes de brumes de sable particulièrement intenses en 2015 ont ainsi eu un lien direct avec les arrivées massives de sargasses cette année là. Et la même chose s'est reproduite en 2018 et semble en cours en 2022.
Si les phénomènes de brumes de sables se multiplient et que l'agriculture intensive continue sur sa lancée, il y a donc fort à parier que la Caraïbe n'est qu'à l'aube de problèmes écologiques majeurs.
Quels impacts pour l'homme et la faune marine ?
Si les scientifiques ont dénombré 127 espèces de poissons sous les radeaux de sargasses et la véritable création d'un écosystème flottant en mer, à terre et sur les rivages, les impacts de ces invasions d'algues rouges sont bien réels : 100% des coraux proches du littoral sont touchés par l’absence de lumière causée par les bancs stagnants et 4 des 5 espèces de tortues marines présentes dans la Caraïbe sont impactées . Si les poissons parviennent le plus souvent à s'échapper vers des eaux plus claires, ce n'est pourtant pas toujours le cas. Dans les ports ou marinas fermés, on trouve ainsi de nombreux poissons morts flottant sur des lits de sargasses. Piégés par les arrivées massives, ils meurent asphyxiés avant d'avoir eu le temps de regagner le large. Quant à la faune sessile, fixée sur le fond marin, elle n'a par définition pas la possibilité de se déplacer. Gorgones, coraux, éponges étouffent alors sous les épaisseurs de sargasses avant de mourir sous l'effet de la chaleur et du manque d'oxygène.
Quant aux hommes, ils sont directement touchés par les émanations de gaz produites par les sargasses en décomposition. Allergies, maux de tête, démangeaisons sont ainsi légion chez les habitants du bord de mer. Les maisons souffrent aussi de la corrosion de ces gaz, les murs se couvrent peu à peu d'un dépôt jaunâtre, les appareils électroménagers rouillent, les climatiseurs tombent en panne.
Et les activités économiques sont également menacées par les sargasses. Au Mexique, lors des échouages massifs, les hôtels ont vu leurs réservation baisser de 75% en 2019 . En Guadeloupe, en 2015, l'impact financier total de ces nuisances s'est établit à 4,9 millions d’euros de chiffre d’affaires perdu par les entreprises interrogées. Trouver des solutions est désormais plus qu'une nécessité.
Quelles solutions pour lutter contre les sargasses ?
La logique voudrait que les états caribéens demandent aux pays agricoles qui entourent la mer des Caraïbes de cesser d'utiliser des engrais. Facile à dire. Les enjeux économiques sont tels que cette solution semble inenvisageable à l'heure actuelle et, si elle l'était , il faudrait de toute façon des années pour en voir les bénéfices sur le milieu océanique. La Caraïbe ne semble aujourd'hui avoir qu'une solution : s'adapter. Anticiper les échouages grâce aux images satellites. Installer des filets déviant les sargasses des zones habitées ou des sites écologiquement fragiles. Et ramasser, autant que faire se peut et rapidement, les algues rouges avant qu'elles ne dégagent, en séchant, ce gaz toxique qu'est le sulfure d’hydrogène. Et, en parallèle, trouver de solutions de recyclage pour ces millions de tonnes de sargasses qui polluent les eaux, les terres et l'air.
L'urgence est là et la Guadeloupe comme la Martinique pédalent depuis des années sans avancées significatives. Enfin, il y a eu tout de même des réunions, des comités techniques, des comités de pilotage. Mais tout cela n'a pas eu de véritable impact sur la vie des habitants dont les maisons deviennent inhabitables, sur le secteur touristique frappé de plein fouet, sur les entreprises qui ont mis la clé sous la porte. Et quant à la biodiversité marine, aux ressources halieutiques, aux coraux, déjà bien malmenés par le dérèglement climatique, ils paient chaque année un lourd tribut à ces invasions de sargasses.
Cette année, 11 ans après les premiers échouages massifs, la création d'un service public anti-sargasses a été annoncé par le Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des Outre-mer. Il devrait être mis en place fin octobre 2022 en complément du Plan Sargasses 2, doté de 36 millions d'euros sur 4 ans. Peut-être est-ce là le début du commencement d'une réaction des autorités ? Une chose est sûre, les habitants et entreprises impactées attendent des mesures fortes et rapides.
Que font les autres îles de la Caraïbe face aux sargasses ?
Face à la menace que les sargasses font peser sur le secteur touristique dans des îles où les visiteurs étrangers sont bien souvent les seules sources de revenus, des solutions ont émergé ces dernières années. Elles sont basées sur un concept simple : éviter autant que possible leur arrivée sur le littoral en intervenant en amont.
Les boucliers anti-algues
Ils sont constitués de filets de protection ou de barrages barrages flottants installés devant les sites à préserver. Les sargasses sont alors prises au piège ou déviées vers des sites peu habités, voire vers le large. Si les barrages édifiés ne servent qu'à retenir les algues, des bateaux ramasseurs de sargasses sont alors nécessaires pour les retirer au fur et à mesure des échouages. Cette technique est utilisée à Antigua, en République Dominicaine, au Mexique. Des expériences ont été tentées également en Guadeloupe et en Martinique, mais dans nos îles, on semble avoir oublié les bateaux ramasseurs. De ce fait, les barrages sont rapidement débordés et se cassent très vite, déversant alors toutes les sargasses sur le littoral.
Les bateaux avaleurs de sargasses
Le Mexique, Saint-Domingue, la Barbade ont mis en place des récupérations mécaniques des sargasses en mer partant du constat qu'il est plus simple de les ramasser en mer qu'une fois échouées sur les plages ou des criques parfois inaccessibles. Des bateaux écumeurs d'algues sillonnent alors les lagons ou les baies avant que les algues ne viennent s'y déposer.
Quel recyclage possible pour les sargasses ?
Qu'elles soient ramassées en mer ou à terre, les sargasses sont ensuite stockées sur le rivage et se pose alors la question de leur revalorisation. De nombreuses études et projets sont en cours ou déjà sortis des cartons sans qu'à ce jour des solutions économiquement intéressantes aient encore vu le jour. On peut cependant évoquer quelques innovations intéressantes :
En Jamaïque, une la société Awganic Inputs transforme les sargasses en aliments pour animaux et en combustible.
D'autres entreprises se penchent sur la transformation de ces algues en engrais, en nano cellulose à utiliser comme barrière contre l'humidité pour les emballages ou encore comme compost dans l'agriculture pour freiner l'évaporation de l'humidité et réduire l'utilisation des engrais. Enfin, des scientifiques imaginent pouvoir un jour transformer les sargasses en biogaz pour produire de l'énergie. Mais avant d'en arriver là, les chercheurs doivent trouver comme éliminer les métaux lourds et le sel présents en quantités non négligeables dans les algues rouges.
A savoir :
Contrairement à la plupart des algues, les sargasses ne vivent pas fixées au sol mais flottent à la surface de l’eau.
Comment arrivent-elles à flotter ? Grâce à la présence de petites billes remplies d’air qui fonctionnent comme des flotteurs et leur permettent de rester à la surface. On les appelle les pneumatocytes.
Reproduction : bien que la reproduction puisse se faire de façon sexuée, il semblerait qu’elle se fasse principalement par multiplication végétative, par fragmentation des touffes.
Croissance : leur développement en surface leur permet de recevoir un maximum d’énergie lumineuse pour une photosynthèse optimale.
Leurs impacts sur la santé : la décomposition anoxique des amoncellements de sargasses produit des émissions d’ammoniac et de sulfure d’hydrogène, gaz toxiques et odorants. L’émanation du sulfure d‘hydrogène à forte concentration présente des risques pour la santé puisqu’il peut bloquer le processus de respiration cellulaire. Les populations se plaignent d’ailleurs d’irritations au niveau des yeux, de la gorge et des oreilles ainsi que de nausées. Des démangeaisons peuvent aussi survenir lors de baignades au milieu de bancs de sargasses. L’hydrogène sulfuré a une odeur d’œuf pourri comme à proximité des volcans.
En 2018, les scientifiques ont estimé que plus de 20 millions de tonnes s'étaient échouées sur les côtes de la Caraïbe.
Le coût du ramassage est estimé à 120 millions de dollars dans les Caraïbes pour la seule année 2018.
* Source www.madininair.fr/Indice-ATMO-31
Données indisponibles pour la Guadeloupe.
Pour en savoir plus :
Rédaction : Mariane Aimar-Godoc
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