Du 12 au 15 juin, l'association IGREC Mer basée en Guadeloupe était sur l'île de la Dominique pour former une équipe de plongeurs à la collecte des larves de coraux. Un partage d'expérience destiné à accroître les compétences de l'île voisine qui cherche plus que jamais à préserver ses récifs coralliens.
Située à moins de 100 km au sud de la Guadeloupe, la Dominique abrite la réserve marine de Soufrière Scott’s Head, un site protégé et réputé pour ses fonds marins exceptionnels. Sur place, Simon Walsh, responsable du club de plongée Nature Island Dive et coordinateur de l'équipe REZDM Coral Response de la réserve marine de Soufrière Scotts Head (SSMR) s'emploie à préserver les coraux de cet espace protégé. Avec son partenaire, Joe Hillman, ils luttent notamment contre la maladie de perte de tissu corallien (SCTLD) qui touche les espèces massives dans toute la Caraïbe depuis 2015. A eux deux et avec quelques bénévoles du club de plongée, ils ont ainsi soigné des centaines de coraux en freinant la propagation de la maladie grâce à un mélange d'époxy et d'amoxicilline qu'ils déposent sur les colonies malades. Grâce à leur travail assidu et quotidien, ils ont préservé et sauvé d'innombrables coraux d'une mort certaine, dont les plus emblématiques de la réserve marine.
En parallèle, l'équipe de Nature Island Dive a également installé des arbres à coraux sur lesquels elle cultive et soigne différentes espèces coralliennes dont le corail cierge (Dendrogyra cylindrus) et la rose de corail (Meandrina Sp.)
Et cette année, c'est sur la ponte des coraux que le club Nature Island Dive a travaillé grâce à un partenariat avec l'association IGREC Mer et l'Aquarium de la Guadeloupe.
Un partenariat gagnant-gagnant avec la Dominique
Face à l'impossibilité de travailler facilement sur la restauration corallienne en Guadeloupe (voir plus bas), les équipes de l'Aquarium et d'IGREC Mer ont, cette année, noué un partenariat avec le club Nature Island Dive. Avec l'aval du Ministère de l'Agriculture, des Pêches et de l'Économie Bleue et Verte de la Dominique, les deux équipes ont mis une place deux jours de formation sur la collecte de larves de corail. Une technique acquise par l'équipe de Guadeloupe depuis plusieurs années déjà et peaufiné en 2021 grâce à une formation organisée par Secore International à Curaçao.
Durant deux jours, l'équipe d'IGREC Mer a ainsi pu former 12 plongeurs aux techniques de collecte des larves de coraux de l'espèce "cerveau de Neptune" (Diploria Labyrinthiformis), une espèce pondant d'avril à octobre avec un pic en mai et juin. Après une formation théorique, les plongeurs, supervisés par Mariane Aimar et Philippe Godoc, ont pu s'immerger sur un site préalablement repéré et mettre en place les techniques acquises en salle. Et dès la première nuit de la mission, trois colonies ont été observées en ponte, ce qui a permis à la Dominique de valider son premier calendrier des jours et des horaires de reproduction sexuée des coraux ! Les œufs collectés ont ensuite été rapportés au club afin que toute l'équipe puisse les observer au microscope, puis ils ont été relâchés en mer. C'est dans une seconde phase, en août et en septembre, que l'élevage larvaire sera véritablement mis en place.
Grâce à ce partenariat entre IGREC Mer et Nature Island Dive, la restauration corallienne s'inscrit dans un programme plus vaste et novateur. Et permet à deux îles sœurs d'avancer ensemble sur un sujet aussi sensible que la survie des coraux.
Quand les contraintes administratives bloquent les projets
Jusqu'en 2017, la Guadeloupe était l'une des îles de la Caraïbe les plus avancées en matière de restauration corallienne et de recherche sur les coraux. Depuis 2003, les équipes de l'Aquarium de la Guadeloupe et d'IGREC Mer travaillaient d'arrache pied pour, chaque année, collecter des larves de coraux, les élever en aquarium avant de les réinstaller en mer pour restaurer les sites dégradés. Cette technique basée sur la reproduction sexuée des coraux permet de réensemencer la mer avec des centaines de jeunes coraux génétiquement différents et donc capables de se reproduire à leur tour.
Dès 2014, les équipes de l'Aquarium sont également allées se former en Floride avec la Coral Restoration Foundation afin d'acquérir les plus récentes techniques de bouturage corallien. Une nouvelle occasion de multiplier les chances de préserver les récifs fortement dégradés de Guadeloupe. A leur retour de Floride, les équipes ont installé la première pépinière de coraux des Antilles et y ont installé des boutures de deux espèces en danger d'extinction : le corail corne d'Elan (Acropora palmata) et le corail corne de cerf (Acropora cervicornis). Car il faut savoir que les coraux, qui sont pourtant des animaux, se bouturent comme des plantes et en fragmentant de petits morceaux, accrochés ensuite en mer à un arbre à corail, on obtient très vite de grosses boutures transplantables sur des sites abimés.
Un arrêté ministériel qui bloque tous les projets en cours
En 2017, un arrêté ministériel protégeant 16 espèces de coraux dont les espèces les plus utilisées par les scientifiques de toute la Caraïbe, interdisait de facto la poursuite des projets en cours. En effet, depuis l'arrêté, pour collecter des larves, prélever des boutures ou replanter des coraux en mer, une demande de dérogation aux espèces protégées est obligatoire. Une demande comme l'administration française sait bien faire : un document de plusieurs centaines de pages à envoyer au Comité Scientifique Régional du Patrimoine Naturel, puis transmis au Comité National, puis enfin au Ministère de l'Environnement. Une procédure chronophage, longue, déconnectée de la réalité écologique et des coraux qui meurent chaque jour plus nombreux. Avec des délais de réponse de près de deux ans, ces demandes de dérogation ont mis un coup de frein aux projets portés jusqu'alors par la Guadeloupe, la Martinique et Saint-Martin. En parallèle, les autres îles de la Caraïbe continuent leurs efforts de préservation des récifs et de nouvelles pépinières voient le jour à Saint-Barthélemy (non soumise à l'arrêté ministériel), Cuba, Saint-Domingue, Curaçao ou au Belize. Et chaque année, des dizaines de scientifiques et clubs de plongée partent lors des pontes massives collecter des œufs pour préserver la diversité génétique et réensemencer l'océan. Pendant ce temps-là, en Guadeloupe, on remplit des formulaires administratifs.
Emmanuelle Descoraux
*IGREC Mer : Initiative Guadeloupéenne pour la Restauration des Ecosystèmes Marins
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