Face à la dégradation sans précédent que subissent les coraux des Antilles, de nombreux scientifiques se mobilisent pour restaurer ces joyaux naturels. Rencontre avec ces jardiniers des mers qui multiplient les techniques pour sauver les récifs de la Caraïbe.
Nuit de ponte sur le récif de Guadeloupe
Quelques nuits par an, après les pleines lunes d’août et de septembre, se produit un évènement magique. Au même moment, dans toute la Caraïbe, quand la température de la mer est idéale, que la lune éclaire juste comme il faut, des milliers de coraux pondent simultanément. C’est en 2011 que j’assiste pour la première fois à une de ces pontes massives. Invitée par l’Aquarium de Guadeloupe à participer à l’opération « Planugwa », je découvre une équipe de passionnés qui partent en mer, de nuit, quelques jours après la pleine lune, pour collecter de précieuses larves de coraux.
Cette nuit-là, sur le récif, j’assiste à une fin de plongée fascinante. L’équipe est à la fois excitée par cet évènement qui ne se produit qu’une fois par an et angoissée, car si on sait aujourd’hui prédire les jours de ponte, c’est toujours Dame Nature qui décide. Et c’est le cas ce soir-là, la plongée se termine, l’équipe est bredouille et il est bientôt l’heure de remonter… Et le festival débute ! A droite, à gauche, toutes les colonies se mettent à expulser leurs gamètes dans une synchronicité digne d’un opéra sous-marin. A court d’air, je photographie jusqu’à ce que le besoin d’oxygène me fasse remonter à la surface… Un peu frustrée mais des étoiles plein les yeux.
Si mon rôle était d’immortaliser ce moment féérique, les scientifiques de l’Aquarium avaient, quant à eux, pour mission de collecter des larves. Concrètement, en quoi consiste leur travail ? C’est Stéphane, technicien à l’Aquarium qui me l’explique : « Les larves collectées sont rapportées au laboratoire où elles vont entamer leur division cellulaire. Puis, très vite, elles vont se fixer sur un support pour débuter leur vie de tout jeune corail. Ensuite, nous les conservons en laboratoire durant quelques semaines pour les mettre à l’abri des prédateurs, puis les relâchons en mer où elles reprendront leur processus de croissance naturel ». Pionnière des Antilles françaises dans cette technique de reproduction sexuée des coraux, la Guadeloupe est, hélas aujourd’hui, limitée dans ses expérimentations du fait d’une règlementation complexe.
Floride, tenter le tout pour le tout
C’est en 2013 que je rencontre pour la première fois des « cultivateurs » de coraux. Ce jour-là Ken Nedimyer, fondateur de la Coral Restoration Fondation m’ouvre les portes de son laboratoire. Très vite, c’est sous l’eau qu’il m’entraîne, dans l’une des sept pépinières de coraux qu’il gère dans les Keys, au sud de la Floride. Par dix mètres de fond, des dizaines « d’arbres à coraux » portent des boutures de corail et près de 20 plongeurs, étudiants, bénévoles ou retraités s’activent. Leur rôle : surveiller la croissance de ces fragments porteurs d’espoir qui pourraient bien sauver les récifs de Floride. Ken me fait également visiter les zones où il a déjà transplanté des coraux. Et là, quelle surprise de plonger dans des eaux immensément riches en poissons ! Car là où les coraux repoussent, les poissons, jusqu’alors privés d’habitat et de source de nourriture, reviennent en toute logique s’installer.
Si la Floride tente le tout pour le tout depuis 10 ans pour sauver les coraux, elle a été rejointe au fil des ans par la plupart des îles de la Caraïbe, de Saint-Domingue à Saint-Barth, en passant par la Guadeloupe, la Martinique ou Bonnaire. Des milliers de coraux sont désormais en culture ou ont d’ores et déjà été transplantés sur des récifs dégradés. Jugez-en plutôt : 90 000 nouveaux coraux ont été mis en mer en Floride, 25 000 aux îles Vierges, 60 000 au Bélize… Car c’est une véritable course contre la montre qui s’est engagée et tous les scientifiques caribéens que j’ai rencontrés sont unanimes : ils sont face à la pire extinction que l’humanité ait connue.
Alors, sans relâche, ces « geotrouvetout » des mers tentent le tout pour le tout. Ils expérimentent ainsi la micro-fragmentation des coraux qui semble accélérer leur croissance. Ils sélectionnent les espèces les plus résistantes, étudient les « survivants », ces coraux qui ont réussi à survivre à un phénomène de blanchissement alors que tous leurs congénères sont morts. Enfin, aux quatre coins de la Caraïbe, des laboratoires et des aquariums mettent en place des sauvegardes de ce patrimoine génétique. Ils prélèvent en mer des colonies coralliennes pour les conserver en aquarium, le temps que la science avance et trouve des solutions. Ils constituent ainsi une arche de Noé des temps modernes. En espérant qu’il ne soit pas trop tard.
Quel étrange animal !
S’il se présente sous la forme minérale, le corail est en fait un organisme marin complexe. Jugez-en plutôt : il abrite des milliers de petits animaux, les polypes, qui construisent chaque jour leur propre squelette calcaire. Mais ce n’est pas tout. Il héberge également une algue microscopique qui a toute sa place dans une partie de Scrabble : la zooxanthelle. C’est elle qui lui donne sa couleur et le nourrit en sucre. Et ces trois compères vivent dans une symbiose parfaite.
M.G
Article paru dans le magazine Arc en Ciel N°91.
Rédaction du post : https://www.coraibes-blog.com/
Comments